SLKTR03 • 02/2015

Missy Prince

Missy Prince est la photographe américaine qui manquait à votre discothèque.

Missy Prince is the American photographer who was missing from your record collection.

Q

uand je regarde les photos de Missy Prince, je ressors mes disques de chevet : Slint, Pavement, Nirvana, Built to Spill, Silver Jews, les premiers Beck, Dinosaur Jr. et tout Will Oldham. Je considère qu’elle est à la photo ce que ce dernier (qui se fait appeler Bonnie ‘PRINCE’ Billy) est à la musique. Ses images ont cette même facture traditionnelle un peu spectrale, délivrée par une voix éraillée, sans âge au point d’être neuve, revenue de tout sauf de la candeur. À la fois introspectives et universelles, âprement poétiques, elles ont la fraîcheur d’une démo et la puissance d’évocation d’un standard. Tous les deux revitalisent une imagerie archétypale pourtant largement surexploitée, comme si rien ne pouvait s’interposer entre eux et la route, la végétation, les bagnoles, les motels, les symboles religieux, les rivières. On redécouvre un pays mythique, mystique, gothique, profond, qu’on ne se serait pas cru capable d’aimer à nouveau comme ça, aussi viscéralement. Pas depuis que David Lynch et Wim Wenders avaient laché l’affaire.

W

hen I see Missy Prince’s photos, I want to play all my favourite tracks from Slint, Pavement, Nirvana, Built to Spill, Silver Jews, the early Beck, Dinosaur Jr. and everything by Will Oldham. I believe that she is to photography what he (who likes to be called Bonnie ‘PRINCE’ Billy) is to music. Her images have the same traditional, slightly spooky construction, delivered in a raucous voice that is ageless to the point of being new and stripped of everything except candor. Both are introspective and universal, bitterly poetic, with the freshness of a demo and the evocative power of a standard. Each of them has given new life to an archetypal and yet overexploited imagery, as if nothing could come between them and the road, the vegetation, the cars, the motels, the religious symbols, the rivers. We rediscover a mythical, mystical, gothic and deep land that we thought we would never be able to love like that again, so viscerally. Not since David Lynch and Wim Wenders gave up on it.

Un jukebox

Est-ce un hasard si les murs de cette pièce sont bleus ? A-t-on déjà vu représentation plus honnête et plus poignante de l’histoire de la musique américaine que cette photo ? Toute l’histoire de la musique américaine : le gospel, le blues, le folk, le rock, l’alcool, la danse, le destin. Une musique de migrants, de croyants, de ruraux, qui s’est mécanisée, électrifiée, industrialisée. Ce jukebox semble en être resté là, à la croisée des origines et des mutations à venir. Il symbolise à lui seul un basculement du monde. L’image n’est pas nostalgique, c’est un pur geste de tendresse. Il en imposait, aujourd’hui il encombre et se fait tout petit dans la moitié inférieure du cadre, entre ces murs bleus plusieurs fois rafraîchis mais dont on n’évitera plus l’effritement. Un miroir poussiéreux à gauche reflète ce qu’il voit : un fauteuil vide et la lumière crue du dehors. Cet éclat de blanc suffit à évoquer la vie qui a continué sans lui et inventé de nouvelles façons de jouer de nouvelles variantes de sa musique. Il est particulièrement touchant de penser que c’est cette même lumière qui l’éclaire et a permis à Missy Prince de si bien photographier ce témoin.

Is it just by chance that the walls in this room are blue ? Have we ever seen a more honest or more poignant representation of the history of American music than this photo ? The whole history of American music – gospel, blues, folk, rock, booze, dance and fate. A music of migrants, believers and country people that was mechanised, electrified and industrialised. This jukebox seems to have always been there at the crossroads of the origins and the mutations to come. It alone symbolizes a shift in the world. The image isn’t nostalgic; it’s a pure gesture of tenderness. It used to be an impressive thing, now it’s in the way and is trying to make itself small in the bottom half of the shot, between these blue walls that have been repainted over and over but whose crumbling can no longer be halted. A dusty mirror on the left reflects what it sees: an empty armchair and the harsh light outside. That burst of white is enough to evoke the life that goes on without it and where new ways of playing new kinds of music have been invented. It is particularly touching to think that it is this same light that shines on it and enables Missy Prince to photograph this eye-witness so well.

Bio

Missy Prince est une photographe américaine qui n’aime rien tant que prendre sa voiture et ramener des images qu’elle développe et tire elle-même en chambre noire. Installée à Portland, Oregon, dans le Nord-Ouest des Etats-Unis où elle a suivi des études de lettres et de philosophie, elle a grandi à Gulfport, dans l’état du Mississipi. Elle a exposé en Angleterre en 2010 et à Portland en 2012 et 2013. Son travail a été publié dans Tell Mum Everything Is OK en 2010 et 2011, LPV Magazine en 2011, Panacea en 2013 et Mossless Issue 3 – The United States en 2014. Elle est membre du collectif de photographes Lightleak.

Missy Prince is an American photographer who likes nothing better than to take her car and bring back images that she develops and prints herself in a darkroom. She is based in Portland, Oregon, in the North-West of the United States where she studied literature and philosophy, but she grew up in Gulfport in the state of Mississipi. She exhibited in England in 2010 and in Portland in 2012 and 2013. Her work was published in Tell Mum Everything Is OK in 2010 and 2011, LPV Magazine in 2011, Panacea in 2013 and Mossless Issue 3 – The United States in 2014. She is a member of the Lightleak photographers’ collective.

Post-nothing

Missy Prince roule et prend des photos. Ce n’est pas plus compliqué que ça. C’est le message. Une ode à la modestie du procédé et du langage photographiques, et à l’incroyable vérité à laquelle seule cette modestie peut prétendre. Elle fait redescendre la tradition du road-trip américain d’un demi-ton et invente le road-trip de tous les jours. Ni ego-trip, ni traversée-performance, ni pastiche post-moderne, post-rien-du-tout. Si tous les clichés et les fantasmes du genre entrent dans le champ, c’est sous leur forme originelle d’objets bien réels et enracinés, rendus à leur authenticité, à leur présence triviale et familière pour ceux qui les côtoient et qui ne sont pas devenus plus cool depuis que leur environnement a servi de toile de fond à la société du spectacle.

Missy Prince drives and takes photographs; it’s as simple as that. That is the message. An ode to the modesty of the photographic process and language and to the unbelievable truth to which only this modesty can lay claim. She takes the tradition of the American road trip down by a semi-tone and invents an everyday road trip. Not an ego trip, not a drive-through performance, not a post modern pastiche here – post-nothing. Even though all the clichés and the fantasies of the genre are still present, they are in their original form as very real objects rooted in the soil, returned to their authenticity, their banal and familiar presence for those who live around them and who have not become cooler people since their environment became the backdrop for the cultural industry.

This machine kills facists.

Si vous aimez les photos bien peignées et les guitares bien accordées, tant pis pour vous. La providence a voulu que Missy Prince rencontre l’Olympus XA, un appareil argentique compact de bonne facture mais étonnamment lo-fi par rapport au marché. Or, le marché ne peut rien pour la mise en place d’une routine et d’un style personnels. Ce qui s’est passé entre ces deux-là relève du mystère de la création. Ensemble, ils sont un peu comme un duo guitare-batterie : limité, primitif, tellurique.

If you like perfect photos and perfectly tuned guitars – that’s too bad. Providence decreed that Missy Prince should discover the Olympus XA, a well-made, compact film camera but amazingly lo-fi compared to the market. However, the market has no effect on the establishment of a personal routine and style. What happened between those two comes from the mystery of the creative process. Together they are rather like a drum-guitar duo: limited, primitive and telluric.

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Selektor Magazine N°3

Missy Prince

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